lundi 3 mars 2014

Nathalie Sarraute. (1956) L’ère du soupçon. coll. « folio/essais », Paris : Gallimard, 151 p.

63: [I]l faut rendre au lecteur cette justice, qu’il ne se fait jamais bien longtemps tirer l’oreille pour suivre les auteurs sur des pistes nouvelles. Il n’a jamais vraiment rechigné devant l’effort. Quand il consentait à examiner avec une attention minutieuse chaque détail du costume du père Grandet et chaque objet de sa maison, à évaluer ses peupliers et ses arpents de vigne et à surveiller ses opérations de bourse, ce n’était pas par goût des réalités solides, ni par besoin de se blottir douillettement au sein d’un univers connu, aux contours rassurants. Il savait bien où l’on voulait le conduire. Et que ce n’était pas vers la facilité.

*Sarraute accorde une grande confiance au lecteur moderne en le plaçant d'office en posture de soupçon vis-à-vis de l'entreprise de représentation du roman. Pour citer un exemple un peu bête, la description détaillée d'une porte et de son cadre ne les rendent pas plus réels aux yeux du lecteur. Ce que Sarraute précise, c'est que ce dernier s'engage dans la lecture d'une telle description en toute connaissance de cause. 

jeudi 27 février 2014

René Bouchard (dir.), Culture populaire et littératures au Québec, Saratoga: Amma Libri, 1980, 310 p.

Jeanne Demers et Lise Gauvin, "Contes -- et nouvelles -- du Québec", p. 223:

Le conte a toujours occupé une place privilégiée au Québec. C'est même devenu un poncif de le dire. À une existence orale qui perdure à la campagne et sur certains chantiers ou qui s'est renouvelée dans la chanson et le monologue, s'est rapidement ajouté le conte écrit. Pas un périodique du 19e siècle qui n'ait son conte, au moins au moment de Noël, et plusieurs consacrent systématiquement une rubrique à des récits courts.

René Bouchard (dir.), Culture populaire et littératures au Québec, Saratoga: Amma Libri, 1980, 310 p.

Claude Poirier, "Le lexique québécois: son évolution, ses composantes", p. 74:

Parmi les innovations québécoises connues figurent au premier plan les évolutions sémantiques. En débarquant en Nouvelle-France, les colons français ont été mis en contact avec des réalités nouvelles, ayant trait à la géographie, à la faune et à la flore, aux conditions climatiques. Ils se sont servis pour les désigner des mots qu'ils employaient dans la mère patrie en parlant des réalités similaires mais s'est développé autour du noyau sémantique de ces mots des sèmes nouveaux, des connotations particulières.

*Poirier donne ensuite l'exemple du mot "fleuve" qui, pour les Québécois désigne un cours d'eau beaucoup plus vaste et important que celui qui traverse Paris. C'est un exemple quelque peu facile, mais il révèle bien l'influence de l'expérience du nouveau continent sur le français.

p. 75: Les francophones du Québec se sont servis de mots français (ou du moins galloromans) pour exprimer l'hivers québécois et les réalités connexes. Le mot poudrerie a été en usage en moyen français au sens d'"étendue de terre couverte de poussière"; il convenait bien pour nommer la neige fine et sèche que le vent soulève en tourbillons [...].

*Poirier offre une panoplie d'exemples de néologismes et de mots dont le sens s'est modifié sous l'influence de la réalité climatique québécoise: carriole, berline, bordée ou bordée de neige, tuque, etc.

René Bouchard (dir.), Culture populaire et littératures au Québec, Saratoga: Amma Libri, 1980, 310 p.

Claude Poirier, "Le lexique québécois: son évolution, ses composantes", p. 48:

Si l'on excepte l'influence anglaise [...], on peut affirmer que l'histoire du parler québécois a été dominée par trois tendances complémentaires: 1. le conservatisme, 2. l'alignement sur le français général, 3. l'innovation.

René Bouchard (dir.), Culture populaire et littératures au Québec, Saratoga: Amma Libri, 1980, 310 p.

Louis Balthazar, "La dynamique du nationalisme au Québec", p. 6:

La plupart des historiens s'accordent pour noter l'existence, dès le 18e siècle, d'une véritable civilisation française en Amérique du Nord. Déjà, dans la petite colonie de la Nouvelle-France, étaient apparus tous les traits d'une culture canadienne authentique: un mode de vie bien distinct de celui de la France, une langue qui s'était déjà enrichie d'idiomes issus des nécessités du pays nouveau, un certain nombre de manifestations artistiques, une économie locale et des aspirations communes entretenues par une rivalité permanente avec les colonies britanniques.

Stéphane Inkel, Le paradoxe de l'écrivain. Entretien avec Hervé Bouchard, Taillon, La Peuplade, 2008, 121 p.

p. 85: [J]e sens dans un certain discours à propos d'une littérature québécoise qu'on voudrait universelle ce désir de gommer des choses qui son très locales, des références que l'on croit être uniquement les nôtres. Mais ces références-là qui sont uniquement les nôtres, qu'on les assume et qu'on les partage plutôt que de les nier pour pouvoir adopter celles que l'on croit universelles. Michel Tremblay a mille fois raison dans le rapport qu'il établit entre le local et le particulier. Les choses que l'on croit universelles, ce sont des localités assumées par d'autres. Les Américains sont très forts dans le fait d'assumer leurs propres lieux. Ils les assument tellement bien qu'ils nous les vendent.

Stéphane Inkel, Le paradoxe de l'écrivain. Entretien avec Hervé Bouchard, Taillon, La Peuplade, 2008, 121 p.

p. 84: Il ne s'agit pas de figurer quelque chose, d'être le signe de quelque chose, pas du tout. Il s'agit tout simplement de prendre possession de cette parole-là, de s'y soumettre entièrement et puis de la donner à entendre.

*performativité de l'écriture