lundi 27 février 2012

BEAUCHEMIN, Jean-François

Ah! si j'avais su que vocabulaire est ainsi que le drap posé sur le fantôme, lui donnant apparences et dehors, et lui retirant enfin sa détestable invisibleté! (150)

Jean-François Beauchemin. Le Jour des corneilles. Éditions Les Allusifs, Montréal, 2004, 152 p. 

BEAUCHEMIN, Jean-François

Son rétorque fut prompt, et viril : « Ânetés, naïveries! Mon esgourde traduit encore toutes choses bruiteuses sur terre! Et il n'est de murmure en ici que celui de l'arrière-saison qui arrive sur nous à grands pas! Reprends ton emploi, j'ai dit! Et fends ces billes, et fais provision de racines, et recouds nos liquettes, et usine-nous tuques et calots de pelisses! » Ainsi répliquait père à la beauté, y compris à la beauté des inexplicabletés : par fabriquement de bonnets, stockage de laines et tricotet d'accoutre. (115)

Jean-François Beauchemin. Le Jour des corneilles. Éditions Les Allusifs, Montréal, 2004, 152 p. 

BEAUCHEMIN, Jean-François

Intertexte avec Les contes de Jos Violon (patois de Tipite Vallerand), de Louis Fréchette:

"Parjaune! Qu'on me pende casque en bas durant une lunaison complète si, de mon vif, je me frotte à démons!" (112)

Jean-François Beauchemin. Le Jour des corneilles. Éditions Les Allusifs, Montréal, 2004, 152 p. 

BEAUCHEMIN, Jean-François

Enfin, je saisis l'image de père palabrant avec ses gens et effectuant pour eux les actes les plus bizarres, tels qu'ils ont été narrés par-devant vous, Monsieur le juge, et ci-devant votre face aussi, Membres du jury de ce tribuneau. (90)
Jean-François Beauchemin. Le Jour des corneilles. Éditions Les Allusifs, Montréal, 2004, 152 p. 

BEAUCHEMIN, Jean-François

Car en matière d'humanité père n'était pas chercheur, et déviait volontiers son penser de tout ce qui réclamait usage extraordinaire de casque. Ce n'était pas qu'il fût dépourvu d'éclairage. Seulement, il allait, semblable au poisson-chat: manœuvrant juste sous la surface des choses, comme si plonger en leur fondement risquait de l'engluer de limon. Son apparence elle-même évoquait quelque bête sous-marine: quoique charnu et râblé, père avait quelque chose de glissant et d'ondulant, une inexplicableté qui lui permettait d'aller parmi les choses sans se heurter à elles, les évitant plutôt, les contournant, s'y dérobant. [...] C'est que, pour piloter sa personne, père s'en remettait entièrement à son pied, qui en toutes circonstances lui servait pour ainsi dire d'œil. Et sa main, son blair, ses esgourdes unanimement lui étaient alors une manière de guide. Voilà pour son guidement au sein des lieux. (106)

Jean-François Beauchemin. Le Jour des corneilles. Éditions Les Allusifs, Montréal, 2004, 152 p. 

DESROSIERS, Léo-Paul

Il y a une manière de prendre la lame. Seul, Montour ne la comprend pas bien encore. Bombardier s'efforce de l'aider; il donne des signaux. Mais chaque mouvement de Montour reçoit le commandement de son intelligence et de sa volonté, non celui de l'habitude: alors le mouvement arrive toujours de quelques secondes en retard. (50)

DESROSIERS, Léo-Paul

Turenne suit de vieux sentiers à peine indiqués qui serpentent sous bois, dévalent dans des ravins, franchissent des ruisseaux et des lacs qui ne sont plus, dans le paysage, que de grandes clairières. Le soir vient: l'homme s'arrête, creuse un large trou avec ses raquettes et les suspend ensuite à un arbre. Il allume un grand feu et il mange. Bientôt, il s'allonge sur le lit de branches de sapin, au fond du trou, entre les grosses couvertures; l'air pur passe entre ses lèvres, froid comme de l'eau, des étoiles brillent là-haut dans le firmament bleu noir. Et partout s'étend un silence complet, un silence de planète saisie par le froid, gelée jusqu'en son centre, toute vie détruite. (158)

DESROSIERS, Léo-Paul

Louison Turenne se traîne. De son couteau, il frappe au cœur, à la manière indienne, le caribou couché; puis il boit une gorgée de ce sang très chaud. Il se repose. Puis il détache un morceau de chair, la fait bouillir sur le feu, et il distribue un peu de bouillon à chacun; il suspend au-dessus des flammes l'estomac de l'animal qui contient des substances facilement digestibles, et il extrait la cervelle. Le sommeil le gagne. Mais quand pourra-t-il s'y abandonner? Ces hommes affamés se jetteraient sur la viande crue, qu'il doit leur défendre maintenant comme un poison, et ils mourraient. Déjà, deux d'entre eux agonisent. N'est-ce pas suffisant? (128)

Léo-Paul Desrosier. Les Engagés du Grand-Portage. Bibliothèque canadienne-française, Fides, Montréal, 1969 [1938], 219 p.

DESROSIERS, Léo-Paul

"[Montour] revient en rampant dans le sous-bois. Il s'écorche. Ses mains saignent. Sans se panser, il se roule dans sa couverture reste les yeux ouverts dans le noir pendant que la forêt sans limite geint autour de lui." (72)

Léo-Paul Desrosiers. Les Engagés du Grand Portage. Bibliothèque Canadienne-Française, Fides, Montréal, 1969 [1938], 219 p.

DESROSIERS, Léo-Paul

Notes: Plus encore que les forces de la nature, ce sont les ruse de l'homme qui rendent ce "grand portage" ardu. Le langage des manigances et de la tromperie sert d'outil dans un univers hostile, outil qu'il est nécessaire de manier aussi habilement que les pagaies ou la hache. La forêt semble, pour ainsi dire, dénaturée, transformée par la seule présence de l'homme en un lieu hautement politique. Nous assistons bel et bien ici au choc d'un monde oral - celui des autochtones - et d'un monde écrit - celui de Montour et de la Compagnie du Nord-Ouest. 
Qui plus est, l'ascension sociale, au sein de la compagnie, se fait grâce à des bribes et des gages qui demeurent toujours en-deçà des écrits. Sous la surface lisse des écrits et des documents attestant la "vérité", l'oralité demeure le lieu des combats les plus mesquins.      


Léo-Paul Desrosiers. Les Engagés du Grand Portage. Bibliothèque Canadienne-Française, Fides, Montréal, 1969 [1938], 219 p.