p. 477: « [Le savoir] définit alors deux passerelles
essentielles entre science et littérature: le moment archéologique qui précède
celui où une théorie scientifique et une œuvre littéraire se constituent dans
leur différence et leur autonomie; et celui où, s'arrachant à leur clôture, ils
s'ouvrent sur les bruissements du discours social, l'un pour contribuer à
construire la 'connaissance vulgaire,' l'autre pour intégrer et inlassablement transformer
cette connaissance. [...] on peut donc redéfinir le savoir comme un ensemble de
principes disponibles dans la connaissance scientifique ou non-scientifique,
vulgaire ou spécialisée, qui sont représentables par des énoncés topiques dans
les différentes formes du discours. L'avantage de cette définition du savoir
est de permettre un remaniement des grands dualisme constitutifs de l'histoire:
d'une part, celui qui oppose la science à l'idéologie et de l'autre, celui qui
établit un hiatus entre le sensible et l'intelligible. Le savoir s'offre comme
un savoir incertain où se dessine une possible intersection entre imaginaire,
idéologie et connaissance, entre pratiques discursives étrangères les unes aux
autres. Il est donc un lieu de partage mais aussi de concurrence où science et
littérature sont en double position de lutte et de fécondation réciproque. »
mercredi 20 novembre 2013
Laurence Dahan-Gaïda, "Du savoir à la fiction. Les phénomènes d'interdiscursivité entre science et littérature" dans Canadian Review of Comparative Literature/Revue canadienne de littérature comparée. Décembre 1991, p. 471-487.
p. 482: "si [la littérature] déploie des savoirs dans
l'imaginaire, c'est pour mieux les désorganiser; elle leur assigne de nouveaux
objets, en redistribue les catégories, redessine leurs relations tant internes
qu'externes. [...] Réécrivant les savoirs qu'elle mobilise, la fiction les met
en crise en même temps que le récit qui leur sert de support. Loin de refléter
ce qui serait déjà donné, elle détruit, sélectionné et reconstruit, elle
'réfléchit'."
Laurence Dahan-Gaïda, "Du savoir à la fiction. Les phénomènes d'interdiscursivité entre science et littérature" dans Canadian Review of Comparative Literature/Revue canadienne de littérature comparée. Décembre 1991, p. 471-487.
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p. 486: "Attentive à tout ce qui est délaissé par la
légalité des systèmes scientifiques, éthiques ou institutionnels qui reposent
sur l'exclusion de l'exceptionnel, la littérature peut assimiler tous 'les
restes' du discours social, tous les laissés pour compte de la pensée
systématique, l'insu d'une culture. Elle réussit à accomplir ce que la science,
dans son refus du narratif, échoue à faire: soit, intégrer l'exception à un
dessin d'ensemble et tenter de penser ainsi le rigoureux et l'universel sous la
catégorie de l'individuel et de l'irrégulier. L'écriture romanesque permet de
transiger entre le singulier et l'universel, entre l'expérience de pensée et
l'expérience vivante, entre la règle et l'exception. [...] Elle autorise le
jaillissement, à l'intérieur de la construction systématique, de fragments de
'réel pur,' de morceaux de vie qui échappent à la répétition, à la
conceptualisation, voire à la représentation."
CERTEAU, Michel de. (1990) L’invention du quotidien. 1. Arts de faire. Collection Folio/essais, Paris : Gallimard.
p. 109: "L'optimisation technique du XIXe siècle, en puisant dans le trésor des "arts" et des "métiers", les modèles, prétextes ou contraintes de ses inventions mécaniques, ne laisse aux pratiques quotidiennes qu'un sol privé de moyens ou de produits propres; elle le constitue en région folklorique, ou bien en une terre deux fois silencieuse, sans discours verbal comme autrefois et désormais sans langage manouvrier. [...] Un "savoir" demeure là, à qui manque son appareil technique (on en a fait des machines) ou dont les manières de faire n'ont pas de légitimité au regard d'une rationalité productiviste (arts quotidiens de la cuisine, du nettoyage, de la couture, etc.). Par contre, ce reste laissé par la colonisation technologique acquiert valeur d'activité "privée", de charge d'investissements symboliques relatifs à la vie quotidienne, fonctionne sous le signe des particularités collectives ou individuelles, devient en somme la mémoire à la fois légendaire et active de ce qui se maintient en marge ou dans l'interstice des orthopraxies scientifiques ou culturelles."
CERTEAU, Michel de. (2002 [1975]) L'écriture de l'histoire. coll. "Folio", Paris: Gallimard, p. 64.
Michel de Certeau définit le savoir comme "le rapport entre une place (un recrutement, un milieu, un métier, etc.), des procédures d'analyse (une discipline) et la construction d'un texte (une littérature)".
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