mardi 22 octobre 2013
Sophie Klimis et Laurent Van Eynde. (2002) Littérature et savoir(s). Bruxelles : Publications des Facultés universitaires Saint-Louis.
p. 9: Au cours des âges, la littérature a oscillé entre le pôle d’un absolu littéraire, où le savoir du littéraire est aussi bien constitution de son objet – aux limites de l’autotélie et de la rupture de celle-ci avec le réel –, et le pôle d’une poésie didactique – où une mimèsis par trop étroite, asservie, n’est plus même le miroir du monde, mais seulement un savoir de second rang : imitation, maladroite en ses enjolivements, d’une prétention à la transparence. Entre ces deux extrêmes se déploie tout un spectre de pratiques, d’inventions littéraires, où se forme un savoir original, irréductible, et donc susceptible d’enrichir l’homme dans sa prétention même à la connaissance. Sans doute le littéraire convoque-t-il ainsi toujours et tout à la fois la nostalgie du mythe et la projection aventureuse d’un savoir qui se conforme en inventant à l’infini ses propres règles.
jeudi 17 octobre 2013
ANDRÈS, Bernard. (2001) Écrire le Québec. De la contrainte à la contrariété [édition revue et augmentée]. Montréal: XYZ.
p. 40: Pour les nations en émergence, l'histoire littéraire, c'est la conjonction toujours hasardeuse d'une signature d'une infinité de discours (sociaux, culturels), de langages, d'accents et de styles, au sens où l'entend Bakhtine à propos d'hybridisation et de plurilinguisme.
p. 41: Au coeur de toutes ces contaminations discursives*, l'écrivain du Nouveau Monde rappelle cet auteur dont parle Bakhtine, qui "ne possédait pas de langage propre, mais avait son style, sa règle unique et organique d'un jeu avec les langages et d'un réfraction en eux de ses intentions sémantiques et expressives".
*Par "contaminations discursives", Andrès veut renvoyer à l'entreprise spirituelle et la mission commerciale qui justifiaient l'écriture (et la lecture) de textes du Nouveau Monde. Pensons seulement aux écrits de religieux envoyés en ces contrées étranges ou encore au compte-rendu quasiment comptable de Champlain.
p. 41: Au coeur de toutes ces contaminations discursives*, l'écrivain du Nouveau Monde rappelle cet auteur dont parle Bakhtine, qui "ne possédait pas de langage propre, mais avait son style, sa règle unique et organique d'un jeu avec les langages et d'un réfraction en eux de ses intentions sémantiques et expressives".
*Par "contaminations discursives", Andrès veut renvoyer à l'entreprise spirituelle et la mission commerciale qui justifiaient l'écriture (et la lecture) de textes du Nouveau Monde. Pensons seulement aux écrits de religieux envoyés en ces contrées étranges ou encore au compte-rendu quasiment comptable de Champlain.
Libellés :
Bakhtine,
histoire,
histoire littéraire,
langage,
Nouveau-Monde
PORTELLI, Alessandro. (2006) "The Sign of the Voice: Orality and Writing in the united States" dans MORETTI, Franco [dir.]. The Novel, vol. 1: History, Geography, and Culture. Princeton: Princeton University Press, p. 531-552.
p. 541: The construction of a cummunity defined by the voice brings with it the maturation of common language. Oraliy (especially in its dialectical and colloquial forms) stops functioning as a fragmentary and disturbing element; it is no longer the trickster in the manuscript or ghost in the margins or beneath its foundations. It becomes instead a shared tool for ordinary communication.
*À partir du moment où l'oralité cesse d'être considérée comme un corps étranger dans le texte littéraire mais est plutôt reconnue comme la forme privilégiée pour représenter la communication ordinaire, quotidienne, elle cesse d'être suspecte ou dérangeante. Ce changement, qui s'est opéré dans les années 1870, aux États-Unis, avec Twain, s'est manifesté au Québec à peu près un siècle plus tard avec L'hiver de force, La vie en prose, etc. Des textes littéraires qui cessaient d'employer l'oralité comme un cheval de Troye ou comme un simple outil politique mais qui semblaient reconnaître davantage sa façon de bien représenter "l'épaisseur de l'existence" (Barthes).
*À partir du moment où l'oralité cesse d'être considérée comme un corps étranger dans le texte littéraire mais est plutôt reconnue comme la forme privilégiée pour représenter la communication ordinaire, quotidienne, elle cesse d'être suspecte ou dérangeante. Ce changement, qui s'est opéré dans les années 1870, aux États-Unis, avec Twain, s'est manifesté au Québec à peu près un siècle plus tard avec L'hiver de force, La vie en prose, etc. Des textes littéraires qui cessaient d'employer l'oralité comme un cheval de Troye ou comme un simple outil politique mais qui semblaient reconnaître davantage sa façon de bien représenter "l'épaisseur de l'existence" (Barthes).
Libellés :
oralité,
ordinaire/lieu commun/quelconque,
Portelli,
USA
LOOBY, Christopher. (1996) Voicing America. Language, Literary Form, and the Origins of the United States. Chicago: University of Chicago Press.
p. 3-4: Precisely because the new nation's self-image was characterized by its difference from traditional (quasi-natural) conception of the nation, indeed by the conscious recognition of its historical contingency that was produced by the abrupt performativity of its inception, vocal utterance has served, in telling instances, as a privileged figure for the making of the United States. This figuration has occasionally taken the odd form of an improbable claim that the United States was actually "spoken into being."
p. 4: To anticipate a bit: since the new United States, by all accounts, manifestly lacked the kind of legitimacy and stability that might be expected of a nation that was grounded in blood loyalty or immemorial facticity -- since its legitimacy was explicitly grounded in an appeal to rational interest, not visceral passion -- voice embodied a certain legitimating charisma that print could not.
p. 4: To anticipate a bit: since the new United States, by all accounts, manifestly lacked the kind of legitimacy and stability that might be expected of a nation that was grounded in blood loyalty or immemorial facticity -- since its legitimacy was explicitly grounded in an appeal to rational interest, not visceral passion -- voice embodied a certain legitimating charisma that print could not.
mercredi 16 octobre 2013
PIERSSENS, Michel. (1990) Savoirs à l'oeuvre. Essais d'épistémocritique. Lille: Presses universitaires de Lille.
p. 13: Parler des savoirs du texte, esquisser ce que pourrait apporter la démarche épistémocritique, ne se ramène donc pas à simplement repérer l'empreinte univoque et exclusive de telle ou telle «science» ou doctrine identifiable, dont il suffirait de désigner la marque sur le récit ou le poème, demeurés passifs. L'écriture est au contraire perçue ici à son tour comme le ferment d'une crise premanente des avoirs qu'elle mobilise - souvent à son insu.
Les parties prenantes dans une telle crise sont multiples: un texte d'abord, puis un sujet qui lui donne lieu, des savoirs thématisés ou inconscients, des sujets à nouveau pour en recevoir ou en diffracter l'effet, une langue toujours déportée, des discours que la parole fracture et refait... - le tout dans le mouvement d'une histoire qu'on ne peut en détacher. Et tout cela dessine quelque chose comme une étrange prosodie, une rythmique toujours inouïe, à la limite du bruit de fond ou de la cacophonie, mais génératrice aussi bien de la polyphonie qu'est cependant la culture.
[...]
Ne peut-on pas par exemple imaginer la littérature comme un orage de savoirs, comme le balayage désordonné de forces en mouvement à la surface de la langue et qui mêlent les souvenirs, brouillent les clivages et assemblent comme au hasard ce qui ne saurait se ressembler?
Les parties prenantes dans une telle crise sont multiples: un texte d'abord, puis un sujet qui lui donne lieu, des savoirs thématisés ou inconscients, des sujets à nouveau pour en recevoir ou en diffracter l'effet, une langue toujours déportée, des discours que la parole fracture et refait... - le tout dans le mouvement d'une histoire qu'on ne peut en détacher. Et tout cela dessine quelque chose comme une étrange prosodie, une rythmique toujours inouïe, à la limite du bruit de fond ou de la cacophonie, mais génératrice aussi bien de la polyphonie qu'est cependant la culture.
[...]
Ne peut-on pas par exemple imaginer la littérature comme un orage de savoirs, comme le balayage désordonné de forces en mouvement à la surface de la langue et qui mêlent les souvenirs, brouillent les clivages et assemblent comme au hasard ce qui ne saurait se ressembler?
Libellés :
écriture,
Épistémocritique,
savoir,
THÉORIE
PIERSSENS, Michel. (1990) Savoirs à l'oeuvre. Essais d'épistémocritique. Lille: Presses universitaires de Lille.
p. 8: Un «savoir», dès lors qu'il devient texte, quand la parole le traduit, ne peut être par conséquent qu'un hybride issu d'une généalogie compliquée. Ainsi faut-il, quand il s'agit d'en comprendre les effets en littérature, en parler au pluriel: c'est à des savoirs que nous avons à faire, plutôt qu'au Savoir unique et majuscule.
p. 9: Pierssens définit les "agents de transfert" comme des "entités susceptibles d'opérer la traduction réciproque de l'épistémique en littérature et du texte en savoir. [...] Il s'agit là, on s'en doute, d'une classe fort nombreuse qui rassemble des objets et des structures qu'on pourrait croire hétéroclites: des métaphores et des chaînes de raisonnement, des simples mots isolés ou des traits descriptifs, des citations et des jeux de mots, etc."
p. 10: Au-delà des disparités, le trait commun de tous ces opérateurs de transfert, c'est bien sûr la figuralité. Ils s'offrent à la fois comme des objets «concrets» (puisqu'ils peuvent s'incarner dans des choses dont les noms sont là, dans le texte) et comme les composants d'une structure plus complexe et plus englobante, rhétorique pour l'essentiel - ce par quoi il faut entendre simplement qu'elle relève d'une logique des intensités où ce qui prime, c'est la force du discours, l'effort du texte pour convaincre.
p. 10: C'est bien en supposant au lecteur certains savoirs que le texte peut faire entendre l'inouï et jouer à la fois du désir, qui met en ruines ce qu'on sait, et de l'ordre préétabli, qui garantit la connaissance vulgaire et en légitime la naturalité. En d'autres termes: c'est le savoir qui fait la vraisemblance*. Mais puisque par ailleurs ce qui fonde celle-ci évolue sans cesse, le sujet qui s'y repère demeure toujours potentiellement déconcerté**.
*"c'est le savoir qui fait la vraisemblance": voir G. Genette "Motivation et vraisemblance" dans Figures II.
** [Note dans le texte] C'est dire aussi que le recours aux ressources des savoirs ne suffit pas à faire d'un texte un texte «réaliste», de quelque façon qu'on l'entende (le genre fantastique n'est-il pas là d'ailleurs pour nous montrer à l'évidence que savoir et fantasme font d'excellents partenaires)?
p. 9: Pierssens définit les "agents de transfert" comme des "entités susceptibles d'opérer la traduction réciproque de l'épistémique en littérature et du texte en savoir. [...] Il s'agit là, on s'en doute, d'une classe fort nombreuse qui rassemble des objets et des structures qu'on pourrait croire hétéroclites: des métaphores et des chaînes de raisonnement, des simples mots isolés ou des traits descriptifs, des citations et des jeux de mots, etc."
p. 10: Au-delà des disparités, le trait commun de tous ces opérateurs de transfert, c'est bien sûr la figuralité. Ils s'offrent à la fois comme des objets «concrets» (puisqu'ils peuvent s'incarner dans des choses dont les noms sont là, dans le texte) et comme les composants d'une structure plus complexe et plus englobante, rhétorique pour l'essentiel - ce par quoi il faut entendre simplement qu'elle relève d'une logique des intensités où ce qui prime, c'est la force du discours, l'effort du texte pour convaincre.
p. 10: C'est bien en supposant au lecteur certains savoirs que le texte peut faire entendre l'inouï et jouer à la fois du désir, qui met en ruines ce qu'on sait, et de l'ordre préétabli, qui garantit la connaissance vulgaire et en légitime la naturalité. En d'autres termes: c'est le savoir qui fait la vraisemblance*. Mais puisque par ailleurs ce qui fonde celle-ci évolue sans cesse, le sujet qui s'y repère demeure toujours potentiellement déconcerté**.
*"c'est le savoir qui fait la vraisemblance": voir G. Genette "Motivation et vraisemblance" dans Figures II.
** [Note dans le texte] C'est dire aussi que le recours aux ressources des savoirs ne suffit pas à faire d'un texte un texte «réaliste», de quelque façon qu'on l'entende (le genre fantastique n'est-il pas là d'ailleurs pour nous montrer à l'évidence que savoir et fantasme font d'excellents partenaires)?
Libellés :
Épistémocritique,
figure,
réalisme,
savoir,
THÉORIE
PIERSSENS, Michel. Savoirs à l'oeuvre. Essais d'épistémocritique. Lille, Presses universitaires de Lille, 1990.
p. 8: La critique épistémique qye nous proposons [...] ne s'interdira pas l'irrespect vis-à-vis des limites strictes des sciences reconnues. C'est que les savoirs dont nous parlerons appartiennent en effet toujours à un champ épistémique caractérisé d'abord par ses objets, et que ces objets (concrets ou non) sont eux-mêmes d'abord tirés de l'expérience commune, souvent bien éloignée des sciences formées pour en traiter.
p. 9: On comprend donc que les « savoirs » évoqués puissent être, en droit tout au moins, aussi divers que leurs objets. Ceux que la littérature mobilise sont nécessairement toujours hérérogènes, de sorte que les objets qu'ils sous-tendent possèdent une organisation qui hésite entre le souvenir d'une pensée mythique qui exige naturellement de déplacer l'opposition trop rapide des « vraies » sciences aux « pseudosciences », et ceci parfois contre une histoire des sciences qui veut d'abord défendre son objet de tout soupçon quant à la solidité de ses fondements.
Notre visée n'est donc pas de trancher du vrai et du faux, de l'orthodoxie ou de la déviation; elle est bien plutôt de saisir la fécondité singulière d'un régime épistémique donné dans une situation d'écriture donnée. En d'autres termes: comment tel savoir sert-il telle oeuvre ou telle construction privée qui la prépare (ce que nous appellerons un idiologue)? Quels moyens lui prête-t-il pour servir quelles fins?
p. 9: On comprend donc que les « savoirs » évoqués puissent être, en droit tout au moins, aussi divers que leurs objets. Ceux que la littérature mobilise sont nécessairement toujours hérérogènes, de sorte que les objets qu'ils sous-tendent possèdent une organisation qui hésite entre le souvenir d'une pensée mythique qui exige naturellement de déplacer l'opposition trop rapide des « vraies » sciences aux « pseudosciences », et ceci parfois contre une histoire des sciences qui veut d'abord défendre son objet de tout soupçon quant à la solidité de ses fondements.
Notre visée n'est donc pas de trancher du vrai et du faux, de l'orthodoxie ou de la déviation; elle est bien plutôt de saisir la fécondité singulière d'un régime épistémique donné dans une situation d'écriture donnée. En d'autres termes: comment tel savoir sert-il telle oeuvre ou telle construction privée qui la prépare (ce que nous appellerons un idiologue)? Quels moyens lui prête-t-il pour servir quelles fins?
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